Agression sexuelle collective, les conséquences d’une injustice

SOCIÉTÉ – La nouvelle de l’immolation par le feu (encore une) d’une jeune de 17 ans suite à son agression sexuelle collective m’a laissé un gout amer et un nœud au ventre. Comment peut-on en arriver là? Tous les verrous sociétaux ont-ils sauté pour vivre presque dans une jungle? Les codes religieux et culturels sont ils devenus obsolètes? Et qu’en est-il de la justice et la société dite civile pour protéger les individus et leur dignité?

Dans un sermon du vendredi, distribué par le ministère du culte marocain à toutes les mosquées, suite au décès par immolation d’une vendeuse ambulante en conséquence à une humiliation par des agents d’autorité, je me souviens que l’imam avait mis beaucoup d’entrain à nous expliquer (nous, la bande de pêcheurs sommés d’écouter et d’obtempérer sans broncher) que le suicide est illicite en islam et que celui ou celle qui le pratique ira en enfer. Soit, mais il a omis de nous dire comment lutter contre les injustices à répétition qui mènent vers cet acte de désespoir et d’humiliation. Ah, j’allais oublier, il nous a conseillé la patience face à l’injustice!

Je veux bien que le peuple puisse patienter devant toutes les injustices qu’il subit au quotidien, et il serait fastidieux de les énumérer. Ni éducation de qualité, ni santé de base, ni travail décent et j’en passe. Mais la cohésion sociale a besoin d’un minimum de justice pour se maintenir.


Khadija, l’adolescente de 17 ans, vivait dans les environs d’une petite ville à 70 kilomètres de Marrakech. Une victime quelconque d’une société aveugle et égoïste. Elle a déjà été agressée sexuellement, fille-mère, elle a accouché à deux reprises malgré son jeune âge. Bien évidemment, aucune association de « circonstance » ne s’est penchée sur son cas! Il y a bien longtemps que je ne me fais plus d’illusions à leur sujet…

L’enquête menée par Ismail Azzam, le correspondant de CNN au Maroc, révèle qu’elle a été séquestrée fin 2015 pendant 48h et subit un viol collectif par huit individus avec enregistrement des séquences sur les téléphones mobiles de ses agresseurs. Les jeunes gens sont ressortis au bout de 7 mois d’incarcération (pour les besoins de la procédure). Ces derniers n’ont pas tardé à faire du chantage à la petite via les enregistrements pornographiques qu’ils avaient gardé dans leurs mobiles.

Face à la honte généralisée qui se profilait devant Khadija, elle a tenté de se suicider en se jetant sur les rails du train. Sauvée in extrémis, elle a récidivé trois semaines plus tard, en s’aspergeant d’une matière inflammable et en allumant le feu dans son corps souillé par des mauvais individus, sous le regard d’une société complice. Transportée au CHU de Marrakech, elle a succombé 36h plus tard à ses brûlures.

Bien évidemment, s’immoler par le feu n’est pas une solution. Mais que faire face à ces injustices qui ont atteint les sommets dans la société marocaine? L’élite n’a que faire de ces histoires parce qu’elle croit qu’elle est protégée. D’aucuns ne pensent que ce qui est arrivé aujourd’hui à cette jeune orpheline et sans défense pourrait arriver demain à nos filles, mêmes si elles vivent dans les quartiers les plus gardés de la capitale.

Le chef du gouvernement ne pense qu’à sa réélection, les partis politiques sont aux abonnés absents et les associations dites des droits de l’homme regardent ailleurs. Quant aux féministes, elles sont en vacances. Je joins ma voix à tous ceux qui demandent la réouverture du dossier judiciaire de Khadija Souidi afin d’y voir plus clair et comprendre pourquoi la punition d’une agression collective sur mineure est-elle si légère?

Si j’ai appris une chose durant mes nombreuses années de travail humanitaire dans les zones de conflits, c’est que toutes les insurrections (spontanées ou provoquées) trouvent un terrain fertile d’injustice et de ressentiments. Au Maroc, le cumul d’injustices a atteint des seuils de moins en moins supportables. La lutte contre les injustices est nécessaire afin de redonner de l’espoir aux plus humbles d’entre nous, sinon nous risquons de payer tous le prix de nos silences complices.