Amina & l’apartheid sanitaire

Amina, 48 ans, mère de 6 enfants, de taille et corpulence moyenne, regard baissé et triste, cheveux couverts d’un fichu et djellaba quelconque d’un bleu délavé, témoin de sa condition modeste. Amina a mal, très mal à son bassin, alors elle est venue de loin pour voir si je pouvais faire quelque chose pour elle.
Elle commence à me déballer ses examens, tout en me racontant l’histoire de sa maladie. Elle a eu des petits saignements et des douleurs depuis quelques mois, me montre les échographies d’un gynécologue connu de Casablanca et d’un praticien de l’hôpital. Le premier lui a proposé une intervention endoscopique dans son utérus mais elle ne pouvait se la permettre faute de moyens et le second lui a dit tout simplement qu’elle n’avait rien. Tous les deux sont passés à côté du diagnostic du cancer du col de l’Utérus. Ce dernier a été confirmé par la biopsie réalisée par un troisième collègue qui lui a fait le bon examen et que l’aspect du col l’avait interpelé, L’IRM demandée et qui coûte très cher pour un foyer modeste (3000 dh) a néanmoins montré que le cancer a évolué dépassant le stade chirurgical.
Parce qu’Amina connait quelqu’un dans le service d’oncologie de Casablanca, elle a pu avoir un rendez-vous début juin, mais on ne pouvait pas lui donner un calendrier thérapeutique faute de place. On lui a dit malgré son RAMED (régime de couverture des soins pour les démunis marocains, mais valable seulement dans les hôpitaux publiques) qu’on l’appellerait.
En souffrance malgré les antalgiques, elle attend le coup de fil qui ne vient pas. La radiothérapie à défaut de la guérir, dans son cas peut diminuer ses douleurs occasionnées par le compression des nerfs provoquée par la tumeur.
Désarmé, la tristesse exprimée par les yeux d’Amina a envahi mon cœur. Et à la tristesse s’ajoutait mon incapacité de l’aider concrètement. Face à cette souffrance qui me dépasse, j’ai juste pu fournir des antalgiques plus puissants à Amina, pour tromper ses douleurs.
Le cas de Amina n’est pas exceptionnel. Le service d’oncologie publiques de Casablanca est tout le temps saturé par le flux des patients et les centres privés sont hors de prix, sans prise en charge par une mutuelle ou une assurance.On se retrouve avec des patients qui nécessitent une radiothérapie et parfois une chimiothérapie en urgence sans pouvoir leur en fournir.
Si seulement, on pouvait sortir de cet Apartheid sanitaire en permettant aux patients bénéficiant du RAMED d’accéder aux services privés qui accepteraient de les prendre en charge. Les patients seraient traités à temps, les centres privés participeraient ainsi au service public tout en étant rémunérés par l’Etat.
Cette mère de famille est frappée par un destin qu’elle accepte parce qu’elle se remet à Dieu, mais elle subit de plein fouet les affres d’un système de santé boiteux et injuste.
L’accompagnement des patients en souffrance aussi bien physique que psychologique ne se réalise pas par des effets d’annonce et encore moins par des compagnes éphémères, mais par une offre de services de qualité aux malades quand ces derniers ont en besoin. Cela commence par se mettre à la place du patient souffrant et sa famille et fini par mobiliser et motiver le personnel soignant en inventant les mécanismes pour optimiser le fonctionnement des moyens existants.
Heureusement, qu’il nous ai toujours permis de rêver !!