Je ne fais pas de l’humanitaire, je ne fais que mon devoir

Chirurgien obstétricien à la Roseraie d’Aubervilliers (93) en temps normal, Zouhair Lahna est actuellement médecin de guerre à Al Shifa, le plus grand hôpital de Gaza. Widad a pu le contacter.
Il y a ceux qui se battent pour la liberté, ceux qui combattent pour l’honneur. Et puis il y a les autres, les vrais guerriers. Ceux qui se battent contre la mort, qui luttent pour la vie. Zouhair Lahna est de ceux-ci. La vie, c’est son lot quotidien. Chaque jour, le médecin accompagne de nouveaux-nés dans le grand saut de la vie. Cette année, il a tout quitté pour se rendre à Gaza, là où chaque jours des centaines d’âmes s’éteignent. Au téléphone, il tient à préciser que l’hôpital Al shifa est l’équivalent de la Pitié Salpétrière, “qu’il a été touché par les bombardements mais sans faire de blessés“. Et quelques minutes avant l’appel “un homme brûlé criait dans l’hôpital. Il a dit que nous étions en train de nous faire bombarder, ça a crée un mouvement de panique. On attend pour l’instant de savoir s’il s’agit d’une fausse nouvelle“. Une ambiance devenue quotidienne dans l’hôpital.

Je suis arrivé au Caire le 11 juillet, et j’ai pu entrer à Gaza deux jours après, je suis passé par Rafah, avec deux autres médecins Palestiniens d’Europe. On a eu beaucoup de chance car les formalités sont loin d’être simples.» Dès le début du conflit, le médecin d’Aubervilliers décide de venir soutenir ses confrères palestiniens. Il sera rejoint par quelques médecins étrangers dont le fameux Mads Gilbert, coqueluche des réseaux sociaux. « Avant le déclenchement de la guerre, j’avais déjà prévu de venir en août pour donner une formation de chirurgie obstétrique aux médecins gazaouis

Mais l’actualité en a voulu autrement. « Du coup je suis venu plus tôt. J’étais déjà venu pendant la guerre 2008-2009 mais c’est la première fois que je fais de la médecine de guerre. Amputer, recevoir les dizaines de blessés en même temps, les trier. Trier les malades, ceux qui peuvent attendre, ceux qui ne peuvent pas, ceux qui vont mourir. C’est ce qu’il c’est passé quand ils ont bombardé le marché de chajaya il y a quelques jours ». Héros ordinaire, il panse les plaies des gazaouis sans se poser de question. « Je suis à la fois infirmier, échographiste, urgentiste… On essaye de faire ce qu’on peut. Mais on est très en colère, très fatigué. »

Parfois il craque aussi. « On se dit que les gens ne viennent pas pour des raisons naturelles, ils viennent parce qu’ils sont attaqués. C’est ça le plus dur. » Très en colère, pour lui l’injustice ne fait aucun doute, et l’absence de la communauté internationale est indigne. « Ça se passe comme ça parce que c’est Israël, ce pays là a tous les droits, il peut tout faire. Pour moi ce ne sont pas les droits de l’Homme qui régissent, ce sont les droits de l’Homme blanc. » Et quand on lui demande s’il a peur il répond très sereinement : « Je suis un être humain, aucun être humain n’échappe à son destin. Une histoire se raconte ici, l’histoire d’un canadien et d’une malaisienne qui seraient partis pendant la guerre de peur de mourir sous les bombes et qui seraient morts dans le crash de l’avion malaisien. »

Personne ne sait si cette histoire est vraie ou fausse, mais elle aide à relativiser. « Ici les bombes pleuvent, le rythme de travail est très soutenu. J’habite à l’hôpital, j’ai une petite chambre, j’y vis jour et nuit. Mes collègues locaux retournent quand même chez eux, chaque matin ils embrassent leurs enfants comme si c’était le dernier jour. Comme s’ils n’allaient plus jamais les revoir. Le fil entre la vie et la mort est très fin ici. » Vivre chaque jour comme si c’était le dernier, le cœur serré la peur au ventre, le quotidien des palestiniens.
« C’est une expérience très forte et enrichissante. Ces situations sortent des individus le meilleur d’eux-même. Le pire aussi. Mais ici c’est surtout le meilleur. Ici il y a 1 million et demi d’habitants. 500 000 ont quitté leurs maisons, personne ne mendie, ici une solidarité incroyable s’organise. Chaque appartement accueille deux ou trois familles. Quand on voit ça on croit encore en l’être humain. » L’être humain, il en a fait son centre d’intérêt, depuis des années : « Je fais ça depuis 15 ans, j’étais en Libye, au Congo, en Afghanistan… Mais je ne fais pas de l’humanitaire, je ne fais que mon devoir ». Et quand il ne soigne pas, le médecin franco-marocain pense « les gens en France commencent à être conscients de ce qu’il se passe ici. Ils ne peuvent pas ignorer les images, les images parlent d’elles-mêmes. Il faut que ça s’arrête, il faut que les gens respirent. Ils veulent briser le hamas, ok je veux bien mais là ils déciment des familles, ils vont les anéantir tous. Ils n’ont osé faire ça que parce que les pays ne disent rien, ni la communauté internationale, ni les pays arabes. On piétine les faibles. » Et puis “de toute façon Hollywood a rendu le meurtre sympathique, les gens n’ont plus de coeur et comme les Palestiniens sont des sous hommes…ce n’est pas grave de les tuer“.

Les morts s’accumulent, les enfants, les femmes, les civils, principales victimes de ce conflit et les blessés qu’on évoque vaguement à travers des chiffres paradoxalement précis. « Il y a énormément d’amputation, ce conflit va laisser beaucoup de gens handicapés, sans parler des enfants qui ne dorment plus et qui ont de graves séquelles psychologiques. » Mais depuis son arrivée il dit aussi avoir pratiqué une vingtaine de césariennes , “ici les femmes font le djihâd avec leurs utérus. Elles ont le plus fort taux de fécondité du monde arabe“. C’est dans cette ambiance lugubre et forte à la fois, qu’il a célébré son 48ème anniversaire, dans cette atmosphère de cris, de guerre et pourtant, il ne pense pas à son retour, « j’ai un retour que je retarde à chaque fois. J’ai annulé mes consultations en France je suis remplaçable là bas un peu moins ici. Je soutiens les gens par ma présence et ça les touche un peu je crois. Je pense que ce conflit va encore durer, les gens sont fatigués mais ils sont forts, ils résistent. La plupart n’ont rien à voir avec le Hamas. Ce sont des gens qui veulent vivre une vie normale mais ils en ont marre de cette prison qui dure depuis 8 ans. Marre de cette maltraitance, de cette pression, donc ils soutiennent la résistance. Cette guerre est beaucoup plus dure que celle de 2009, cette fois ils vont laisser la bande de Gaza à genoux pour beaucoup de temps. »
Il s’inquiète de la situation sanitaire qui s’aggrave depuis qu’Israël a bombardé le générateur électrique, « il n’y a plus d’électricité dans les bâtiments, seulement 3 ou 4 heures par jour. Les immeubles n’ont plus d’eau, car l’eau a besoin d’électricité pour être purifiée. Je ne sais pas combien de temps ils vont tenir. Il y a beaucoup d’infection, de sous alimentation et de diarrhées. Il faut que ça s’arrête. » En attendant la fin des bombardements, Zouhair Lahna restera aux côtés des plus faibles, malgré les craintes de ses proches « ma mère, ma femme sont un peu inquiètes mais elles comprennent bien pourquoi je suis là, elles savent ce qui m’anime ».