Les larmes de Rachid

Deux vannes arrivent en trombe suivis par un pickup de l’armée turque. Des femmes, des enfants et des hommes cassés descendent, fatigués, visages livides, habits sales et pieds nus. On a dû certainement leurs retirer leurs chaussures pour qu’ils n’essayent plus de fuir. Le tableau est triste et tragique. Et puis descend une grand-mère pliée en deux et avec seulement des chaussettes aux pieds. Elle s’appuyait sur un homme d’une cinquantaine d’années fatigué et deux sacs en plastiques entourant ses pieds. Rachid, la tête baissée, posée sur la vitre de notre voiture et ne pouvait plus retenir ses larmes. Il a été indécent de prendre une photo pour témoigner de cette tragédie. Nos têtes se devaient de se détourner pour nous convaincre qu’on ne fait pas dans le voyeurisme… Puisqu’on ne pouvait rien pour ces personnes, qui ont perdu plusieurs choses et certainement leurs dernières économies en payant les passeurs.

Sur la frontière entre la Turquie et la Syrie, il se déroule des tragédies. La puissance du feu nourri de l’aviation russe et les machines de guerre ont obligé les habitants des villages du nord d’Alep de quitter leurs domiciles. Des domiciles qui sont tombés en ruines sous l’effet des bombardements.
Les villageois de ligne de frontières ont admis certaines familles chez elles, d’autres sont partis dans les camps organisés ou de fortune. Le reste des réfugiés ont été tentés de quitter le pays et partir de la Syrie.
En voyant cette désolation et ces personnes pris par l’armée turque comme des malfrats, Nous étions envahis par une colère, une faiblesse et une honte. Nous ne pouvions rien faire pour eux. Même pas leur adresser la parole. Voilà des syriens restés au pays parce que pauvres ou ne voulant pas quitter leurs domiciles, il leurs arrivent tant de misères et d’humiliations !!
On peut philosopher sur le nombre de réfugiés et comprendre la capacité des Etats et des sociétés à recevoir ou non des migrants, mais les personnes que nous avons vu dans la déchéance sont des êtres réels, qui ont perdus leurs toits. Ils ont froids, ils n’ont plus leurs maigres bagages ni leurs économies s’ils en avaient et se retrouvent au point de départ. L’image des enfants tremblotants, des nourrissons emmitouflés pris dans les bras de femmes aux visages fatigués et aux habits souillés m’ont resté dans l’esprit.
Cette vue est tragique, c’est celle de la destruction et de la désorganisation d’une société qui n’a rien à envier à celle de la destruction des habitations et des structures vitales du pays. J’ai été toujours habitué à la rencontre de femmes syriennes, fières, sobres et proprement habillées malgré les péripéties de la guerre.
Rachid Jankari, journaliste et spécialiste des nouveaux médias que je connais depuis des années et qui m’accompagne dans mes activités sur Gaza et en Syrie a décidé de venir avec moi en Syrie depuis le 21 février 2016 pour vivre de plus près la situation des victimes de la guerre syrienne après sa contribution au projet Injab dédié à l’offre de soins gratuits aux réfugiés syriens et sub-sahariens. Il a été servi dès l’arrivée à la frontière…
Dr. Zouhair Lahna