Syria Again !! La mission dangereuse…

Je devais revenir en Syrie depuis deux mois, mais les conditions étaient défavorables. D’abord, il y avait le problème de la frontière avec la Turquie qui est devenue de plus en plus hermétique, ensuite le goût amer de la chute d’Alep suivie de la dépression, et pour finir les histoires d’enlèvements dont la plus emblématique est celle d’un jeune photographe sud africain qui revenait justement de l’hôpital où je travaille.

Alors,on me demandait à chaque fois de patienter. Les deux dernières formations aux sages femmes ont du être réalisées sans ma présence. J’ai juste pu donner des cours par skype, suivre quelques débats et répondre aux questions. Heureusement que très tôt, j’ai investi dans une gynécologue, deux sages femmes, un urgentiste et un infirmier qui ont rendu ces apprentissages non dépendants de ma personne. Et c’est le but de l’apprentissage… initié par mon ami le Pr Raphael Pitti.

Cette fois-ci, c’est différent, il s’agit de la formation en chirurgie pelvienne et obstétricale d’urgence aux gynécologues et aux chirurgiens qui sont de plus en plus sollicités pour résoudre les problèmes chirurgicaux de la femme syrienne, enceinte ou pas. Ces cours sont un investissement dans l’avenir d’une province de plus en plus fermée au monde, et qui est en passe de devenir une sorte de Gaza, toutes proportions gardées.
Finalement,Hassan qui connait bien la frontière et les autorités nous a informé que c’est possible d’entrer en Syrie, et vu le contexte et les inquiétudes du président de l’UOSSM à Paris, il a prévu cette fois-ci une protection armée pour pallier ou dissuader toute agression ou enlèvement. Chose que j’ignorais avant mon arrivée sur place et mis devant le fait accompli.

Après un long voyage et une nuit courte, on arrive vers le poste frontière.Et pendant le temps mort d’attente du capitaine, il me montre la photo d’une voiture calcinée, me disant qu’elle venait d’être attaquée ce matin, juste devant l’hôpital où nous nous rendons.D’un air calme, de celui qui en a vu de toutes les couleurs depuis le début de cette mauvaise guerre, il me dit :
Il y a juste une personne assassinée, l’homme qui a été visé.

Je saurai plus tard que c’était un homme influent du front Annosra, un aveugle de 65 ans.Le capitaine du poste frontière est un jeune homme élancé, blond, la trentaine. Il est venu, portable à la main, les écouteurs pendants,inspecter les jeunes gens qu’on ramène à la frontière. Il y a en a eu plus de 350, juste au cours de la matinée me dit-on. D’une main nonchalante mais avec un regard bienveillant, il fait signe aux jeunes
hommes de retourner de là où ils ont tenté de s’enfuir : La Syrie endeuillée et enfermée. Il fait mine d’être celui qui fait exécuter les ordres, mais il y met de la noblesse et de l’humanité.

Après,c’était à notre tour de passer. J’étais accompagné d’une grand-mère atteinte d’un cancer du sein métastatique qui devait rester en Turquie pour recevoir sa chimiothérapie (Les hôpitaux Turques prennent en charge gracieusement tous les soins médicaux des syriens sur son territoire,soit plus de 2 millions de « déportés » et reçoivent les urgences de la guerre). Elle est donc obligée d’y rester avec une partie de sa famille.La guerre est une succession de déchirures…


Les jeunes gens, censés assurer ma protection, sont bien évidement armés. Je n’étais pas du tout à l’aise quand on m’a proposé de monter dans leur 4X4 mais je ne pouvais pas refuser puisqu’ils étaient là pour moi. Abou khodr, mon chauffeur habituel qui travaille pour notre ONG (l’Union des Organisations Syriennes de Soins Médicaux) était là également. Il nous a suivi. Les quelques kilomètres qui séparent le point de passage de la frontière à l’hôpital m’ont paru une éternité. Je me retrouve tout d’un coup dans un véhicule qui peut être ciblé à tout moment ; entre le danger d’enlèvement et celui d’être pulvérisé par un drone, les choix ne sont pas simples. Arriver à l’Hôpital et être « entre les mains » de ceux que je connais, que j’aime et avec lesquels j’ai partagé de longues heures de travail et de fraternité était pour moi un véritable moment de plaisir et de soulagement.

Je me suis rappelé soudain la question de Hanan, la journaliste de Les Echos qui est passée me voir au cabinet Injab de Casablanca pour préparer un documentaire sur mes actions,

  • Qu’est ce qui pousse Zouhair Lahna, qui a une famille, des enfants à risquer sa vie dans des zones de conflits ?

Je n’ai pas eu le temps de chercher la réponse dans mes pensées, qu’elle venait à moi d’elle-même. Les visages que je connais de l’hôpital me parlent de patientes qui attendaient ma venue, des reproches amicaux sur ma promesse de revenir depuis deux mois, Mustapha l’urologue qui a des récidives de descente d’organes et ne sait pas quoi en faire. Et Ahmad qui me propose de rester pour faire la formation dans son hôpital. Les messages whatsapp, nouveau téléphone arabe, pleuvaient avec les cas, des quand ? où ? comment ? et surtout combien de temps j’allais rester ??

Une fois dedans, je mesure les besoins, j’oublie les dangers et je ne peux qu’avancer.
Avancer oui, mais prudemment, je me suis arrangé poliment pour reprendre la route en compagnie d’Abou khodr, laissant l’escorte derrière nous. Abou khodr me taquinant ; le sourire au coin, me disait :

  • Tout à l’heure, quand tu étais avec eux (les jeunes armés), je suis resté à bonne distance derrière vous, surtout après ce qui s’est passé ce matin.
  • Tu as raison, lui répondis-je. Bien que tu sois entouré de la mort qui guette, l’instinct et l’amour de la vie prennent le dessus. D’ailleurs, c’est pour cela que je suis à tes côtés.

Et j’ai ajouté, histoire de le taquiner à mon tour, le connaissant aimant la vitesse :

  • Ne roule pas trop vite, parce qu’il serait vraiment bête de mourir dans un accident de la circulation.

Juste avant le coucher du soleil, on est arrivé au centre de formation de Bab al Hawa, jouxtant l’hôpital du même nom où je dois opérer mes patientes et enseigner. Investir dans mes collègues est l’essence de ce combat et ces prises de risques, afin que les femmes, colonne vertébrale de toutes les sociétés, soient bien traitées.