Syrie: « Elle porte la vie comme si elle portait une bombe »

Publié le 02/10/2015
INTERNATIONAL – Mais qu’est ce que tu vas encore faire en Syrie? Question récurrente, même de la personne la plus proche qui est ma mère, qui a fini par comprendre mon engagement et mes motivations mais a toujours du mal. Et là je suis à Rayhania, la ville turque la plus proche de la frontière syrienne, plus précisément au passage de Bab Al Hawa et je ne peux pas entrer. L’hôpital et le centre de formation sont juste à des dizaines de mètres de l’autre côté de la frontière, mais inaccessibles, pour le moment.


Frustrés comme des enfants qu’on empêche d’accéder à un endroit convoité, mais confiants dans la volonté divine. Ziad, anesthésiste réanimateur et responsable de la formation au sein de l’UOSSM (Union des Organisations Syriennes des Soins Médicaux) n’a pu entrer que difficilement même avec son passeport syrien. Hassan, l’urgentiste, n’en possède pas et malgré qu’il soit syrien, il a été refoulé et moi j’attends un petit miracle.

La journée d’hier fut longue en attente et la nuit courte. La formation doit commencer en fin de matinée et plus d’une vingtaine de sages-femmes venues de différents endroits du nord du pays m’attendent de l’autre côté. Notre formation ludique et interactive a du  »succès » et le bouche à oreille (ou le WhatsApp) fonctionne bien.

Ce qui me frustre encore plus ce sont les patients que je dois opérer dont plus particulièrement une jeune femme qui a eu plusieurs césariennes et dont l’état actuel est préoccupant puisque le placenta est mal situé et qu’elle risque des complications allant de l’hémorragie, à la perte de son utérus voir de sa vie en absence d’une bonne prise en charge.

Habitant près d’Idlib, la gynécologue et les chirurgiens ont conseillé à son frère médecin de l’emmener plutôt vers les hôpitaux de la ville de Dana ou celui de Bab Al Hawa pour qu’elle soit près de la frontière au cas où… Inutile de vous expliquer l’état d’esprit de cette femme, de son mari, de ses enfants et de sa famille. Elle porte la vie, comme si elle portait une bombe.

La même famille vient d’être endeuillée il y a à peine un mois quand un missile est tombé dans le marché d’Idlib faisant deux morts (un adulte et un enfant de 10 ans) et plusieurs blessés. Tout ce qu’il m’avait dit Zakaria, le médecin quand je lui ai présenté mes condoléances lors de la dernière visite c’était, « Alhamdoulillah, leur heure était arrivée ».

La vie et les rencontres avec des personnes qui côtoient la mort est impressionnante. On apprend avec eux une certaine sérénité et une acceptation du destin d’une part et une combativité plus aiguisée d’autre part.

La seule route vers Alep dite de Castillo réputée dangereuse mais que j’ai empruntée il y a un mois est complétement coupée depuis 5 jours parce que les Kurdes du PKK (qu’on nous présente actuellement comme combattants de la liberté et défendant une minorité) ont pris la place des snippers du régime en tirant sur ceux qui arrivent ou sortent de la ville. Une façon d’asphyxier un peu la ville d’Alep et obliger les combattants à les laisser ouvrir un passage entre les deux bords de la ville. Des calculs politiques qui provoquent des morts innocentes tous les jours…

La France bombarde la partie du pays sous contrôle de Daech, les Russes ne se cachent plus et lancent des raids sur la partie de la ville de Homs encore tenue par des combattants. Le régime lance ses barils de TNT sur la population, mais tout ceci n’a pas empêché les sages-femmes à se déplacer pour notre formation.

Le fait de ne pas pouvoir leur donner les cours me désole. On se rabat sur Skype pour ce premier jour fait surtout de conférences.

En attendant, patience…