Consultations gratuites pour les réfugiées et les démunies

Les réfugiés et personnes nécessiteuses au Maroc ont désormais un nouveau centre où ils peuvent se faire soigner gratuitement. Ouvert le 15 janvier dernier au quartier Farah Salam, le centre Injab est une initiative du Dr. Zouhair Lahna, chirurgien obstétricien et ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières. Dans un entretien avec Yabiladi, il en dit un peu plus sur ce projet et se confie sur son engagement envers ces hommes et femmes en quête de jours meilleurs.

Dr. Zouhair Lahna: Oui ! Ça fait 20 ans que je travaille partout dans le monde, surtout pour la santé maternelle. J’ai pas mal travaillé en Afrique notamment en République démocratique du Congo, en Ethiopie, ainsi qu’au Mali. J’ai également travaillé au Moyen Orient, notamment en Palestine, à Gaza et ces derniers temps en Syrie.
Au Maroc déjà, une grande partie de la population vit dans la précarité. A cela il faut associer les réfugiés subsahariens ou syriens dont personne ne s’occupe vraiment. Au vu de tout cela, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. Et ça s’est concrétisé avec l’aide des amis qui m’ont soutenu aussi bien intellectuellement que financièrement.

Ouvrir un centre au Maroc était donc la suite logique de votre engagement à travers le monde?

C‘est un peu ça, oui ! Je considère d’abord cela comme un devoir. Pour moi, dans notre métier à savoir la médecine, s’occuper des gens est un devoir. Et puis, il fallait bien faire quelque chose dans mon pays, le Maroc. C’est vrai que je faisais déjà des caravanes médicales, j’enseignais la chirurgie dans les hôpitaux marocains et j’ai ouvert un cabinet il y a plusieurs années. Mais je ne pouvais y soigner que les gens qui ont des moyens. Alors j’ai pensé à faire quelque chose pour les démunis, les gens qui n’ont pas les moyens d’aller voir un médecin, d’être bien accueillis. Je voulais leur donner aussi de la valeur. Et c’est ce que je fais à Injab.
Hier, j’ai opéré une Camerounaise qui souffrait de douleurs au niveau des trompes que seule une coelioscopie (intervention sans ouverture du ventre) pouvait régler. C’est une intervention qu’on ne fait pas dans la plupart des hôpitaux publics et qui coute très chère dans le privé. Mais au lieu de 10 000 dirhams, ça nous a couté 2 000 dirhams de frais pour la clinique et le reste de l’équipe a travaillé gratuitement. Il faut dire que même la clinique a fait un effort. Je pense que pour rendre service aux gens, il suffit de le vouloir. Ce n’est pas un problème d’argent, c’est plutôt un problème de volonté d’abord.


La concrétisation du projet a-t-elle été difficile?

Oui, un peu. Les gens ne comprennent pas en fait qu’on puisse soigner gratuitement parce la médecine privée semble communément avoir pour but de gagner de l’argent. Moi, je ne partage pas cet avis. On peut faire de l’argent en faisant du commerce, ou en construisant des maisons…, mais la médecine n’est pas faite pour se faire de l’argent.
Tout ce qui est altruisme on pense toujours qu’il ne faut n’en faire qu’un peu, mais pas à plein temps. En ce qui me concerne, je prends 80% de monde gratuitement et 20% pour gagner un peu d’argent. Ça me suffit pour vivre. C‘est ma philosophie. C‘est vrai que c‘est un peu difficile à comprendre dans un monde où on ne pense qu’à l’argent, où on ne pense qu’à gagner plus.

Vous avez publié sur Facebook la lettre que vous avez reçue d’une adolescente de 16 ans qui brûle d’envie de venir en aide aux réfugiés via la création d’une association. Son courriel a suscité beaucoup d’admiration…

Oui ! C’est une jeune fille qui voulait faire quelque chose et que personne n’a encouragée. Elle a vu que quelqu’un a pu arriver au bout de son projet. Elle s’est dit : «moi aussi je peux le faire». Et c’est vrai.
C’est aussi le but de mon action. C’est pour cela que je communique un peu pour dire aux gens que c’est possible de faire des choses, c’est pas compliqué. On peut faire une communication depuis chez soi où on collecte les affaires et après, on les redistribue aux nécessiteux. On veut aider les mamans, on fait un appel, on collecte le lait qu’on redistribue. On peut faire des choses simples, pas besoin d’être médecin. On peut aussi aider dans la scolarisation des enfants. Je connais des jeunes qui sont venus me voir, ils sont en train d’aider quatre familles et payent même la scolarisation des enfants dans une école privée.
Les gens peuvent faire des choses. C’est ce que j’ai dit à cette adolescente. D’autant plus que j’ai été assez étonné qu’à 16 ans, elle pense déjà ainsi. C‘est magnifique ! C‘est pour cela que j’ai partagé sa lettre, pour montrer comment quelqu’un de 16 ans réfléchit, alors qu’il y a des gens qui ont presque tout et qui ne pensent toujours qu’à eux-mêmes.

Cela n’est-ce pas finalement la preuve que la jeunesse marocaine d’aujourd’hui n’est pas aussi insouciante que l’on pourrait croire?

Bien-sûr ! Je pense que la jeunesse a beaucoup de bonne chose en elle. Et si on ne les occupe qu’à travers les jeux et les concerts, on ne va rien en tirer. Par contre, on devrait leur montre que la vie peut apporter de bonnes choses et qu’elle est aussi faite d’engagements, qu’il faut s’occuper des gens qui sont autour de nous. Parce que si on ne le fait pas, les réfugiés restent entre eux et ça peut devenir très dangereux, ça peut développer la criminalité, la prostitution, …

Quel rôle peut jouer le gouvernement à ce niveau selon vous ?

Si ces réfugiés trouvaient l’équilibre dans leurs pays, ils ne viendraient pas. Dans le passé, le Maroc était un pays de migrants. Mais aujourd’hui, il est devenu une terre d’accueil. Je pense qu’il faut agir de sorte à tirer le meilleur de la présence de ces hommes et femmes dans notre pays. Ce sont des cerveaux, des travailleurs… Ce qui a fait les Etats-Unis et les pays d’Europe. Le Maroc devrait prendre exemple sur eux.
Les réfugiés sont là, c‘est un devoir de les aider. L’être humain a toujours bougé pour une raison ou pour une autre et quand il quitte son pays, il peut être en difficulté. Moi aussi, j’ai quitté mon pays pour aller étudier en France et je sais que ce n’est pas toujours facile d’être à l’étranger.