De Gaza à Taza, un voyage dans l’enclavement

A chaque agression sur Gaza, le peuple marocain se sent blessé, descend dans la rue, et appelle à soutenir les Palestiniens de Gaza, enclavés et bombardés.

Certaines voix se lèvent pour dire que si nous voulons aider les gens en difficulté, nous ne sommes pas obligés d’aller si loin, il y a Taza… Nous avons certainement choisi Taza parce que ça rime bien avec Gaza. Et en parlant de Taza, ce n’est pas de la ville qu’ils veulent parler mais de toute la région.

Je ne savais pas qu’en accompagnant un ami au village natal de son père afin d’y apporter des vivres, des fournitures scolaires, des vêtements chauds et des soins, que j’allais découvrir un enclavement et une souffrance sans nom.

La carte de Jbel Bouyblane, qui culmine à plus de 3.200 mètres, est dénuée d’hôtels ou de sites d’hébergement. Nous sommes donc partis à l’aventure avec Rachid, les autres copains ont dû passer la nuit à Fès.

Nous arrivons dans la ville de Ribat al-Khayr, anciennement appelée Ahermoumou, ce qui veut a priori dire la halle d’armement. Cette petite bourgade abritait une caserne militaire qui a servi au temps de la colonisation à la mise au pas des résistants du Moyen Atlas, dont le célèbre Moha ou Hamou Zayani. Mais elle a également servi au coup d’Etat raté de 1971 contre Hassan II, qui a fait plus de 100 morts et 200 blessés.

Depuis, la région est restée telle qu’elle est, ou presque. Quand nous avons pris la route de la montagne, nous étions ébahis par la majesté des cèdres mais attristés par l’état des routes cabossées et mal entretenues. La première nuit, nous avons trouvé refuge dans une auberge désaffectée, sans chauffage, ni eau, ni toilettes. J’ai mis toutes les affaires que j’avais pour me réchauffer mais ça n’a pas suffi puisque je me réveillais toutes les heures subissant les morsures du froid.

L’arrivée du matin a été salutaire, avec les rayons de soleil et le feu de bois. Ensuite, nous avons repris la route. Il nous a fallu deux heures pour arriver au village de Tankranant. Nous nous sommes en fait perdus, puisque le point de ralliement des autres copains n’était pas loin de la route principale. Les voitures ne s’aventurent pas dans la cuvette pour atteindre le village où vivent plus de 120 familles.

Nous avons été accueillis par trois professeurs des écoles, deux hommes et une femme. Ils étaient à la fois surpris et heureux de nous voir et partager avec nous leurs souffrances dans cet endroit oublié. Ils nous ont parlé de la neige qui peut atteindre jusqu’à deux mètres de profondeur, et le fait que tout le village reste enclavé les trois ou quatre mois de l’hiver. En cas de maladie ou d’accouchement compliqué, c’est la mort assurée.

La jeune institutrice est enceinte de trois mois, son mari est à Agadir et sa famille à Missour. Elle ne savait pas comment faire et appréhendait l’enclavement. En même temps, elle ne souhaitait pas abandonner ses élèves. La peur au ventre, elle a perçu ma visite comme une délivrance.

Comme toutes les femmes enceintes, aucune ne devrait rester dans un village enclavé par la neige et des routes non praticables, et c’est le sens même de la création des maisons de Oumouma, afin que toutes les femmes enceintes puissent accoucher dans des conditions de sécurité et revenir chez elles quand les routes redeviennent praticables.

Quand nous avons souhaité remonter la pente pour ressortir du village, notre voiture non dotée de quatre roues motrices a dérapé à plusieurs reprises feignant nous précipiter dans le ravin. Nous avons mis les pieds à terre et fait appel aux deux instituteurs et à d’autres hommes du village pour nous aider à pousser la voiture pour qu’elle puisse passer les différentes pentes raides.

Quand j’ai reposé la question, les profs m’ont dit qu’ils marchaient une heure en portant leurs bagages ou utilisaient des mulets, puisque la plupart des véhicules ne s’aventurent pas vers le village… Je n’ose même imaginer l’arrivée de l’hiver, le verglas et le manque de moyens.

Au retour, nous avons passé la nuit chaudement chez notre hôte Yassine à Ribat al-Khayr. Le lendemain, nous avons visité la maternité locale où existe bel et bien une maison de Oumouma, mais qui ne sert que de poste suites de couches pour les femmes qui y arrivent. 30 femmes y accouchent chaque mois. Les femmes des montagnes accouchent encore avec risques et périls dans leurs maisons.

Sur l’autoroute de Fès, nous avons réfléchi, avec Rachid, sur ce que nous pouvions bien faire à notre niveau. Qu’à défaut de pouvoir désenclaver ces villages, comment pourrions-nous leur apporter quelque chose pour lutter et survivre. Vint alors la décision de lever des fonds afin d’équiper les élèves en vêtements adaptés (blousons, polaires, bottes, gants…) et ceci fait partie de la prévention de plusieurs maladies.

En second lieu, dispenser aux instituteurs des formations de secouristes afin de prendre en charge la population en cas d’urgence. L’idée nous est venue de Khalid, un des professeurs de Tankranant qui apporte toujours une pharmacie personnelle et se fait souvent solliciter par les parents d’élèves. Autant lui donner ainsi qu’à ses collègues un savoir nécessaire dans ces conditions difficiles.

Belle idée que je mettrai en œuvre incha-allah le plus rapidement possible. C’est la seule façon de combattre l’adversité et ne plus faire attention à la faillite du système.